« Ils passent depuis le fond des âges. »
Sculptures, dessins et chronique d’atelier de Olivier Estoppey Ils passent depuis le fond des âges. Je les regarde.
Voici les Eaux-Vives
Voici le monde.
Ils passent depuis le fond des âges.
Je les regarde.
Ils sont innombrables et s’avancent pressés les uns contre les autres. Ils sont femmes, hommes, adolescents ou vieillards, escortés ou non de bagages et d’enfants ou de chiens. Leur progression dans l’espace est privée de cap général et semble absurde. Ils marchent ou s’élancent comme pour courir, hésitent avant de sembler fuir et finissent par s’absenter aux quatre points cardinaux. Puis ils reviennent quelques minutes plus tard comme ils l’avaient fait quelques heures plus tôt et peut-être la veille, et comme ils recommenceront demain sans logique repérable, sous leurs propres traits ou glissés dans la silhouette d’un congénère éperdu parvenu de la Sicile ou de Lesbos et rejoignant Calais ou quelque autre port ouvrant sur le rêve. Avant que l’une ou l’un d’entre eux, soit-elle femme ou soit-il homme et peut-être enfant sinon chien, s’immobilise et devienne statue de béton infiniment figée par des perceptions inouïes. Puis chacune en gagnant d’autres par l’exemple, les voici bientôt toutes érigées dans le flux qui les environne, faisant pièce aux vivants déferlant sans relâche aux alentours et finissant par les excéder en durée comme en présence. Il y en aura six, ou neuf ou douze ou moins, selon les vibrations de l’air. En contrepoint fraternel aux passants infinis, elles diront le songe et la concentration que le siècle affole.
Christophe Gallaz écrivain et chroniqueur