Éléphant ou le temps suspendu
Le monde se révèle à la fois porteur de mémoires an- cestrales autant que vulnérable
La danseuse et chorégraphe Bouchra Ouizguen accompagne des Aïtas,
Laâbates et Houariates, des danseuses et chanteuses issues des traditions po- pulaires du Maroc, à l’écoute du monde alentour. La danse et les chants ren- contrent alors des héros et héroïnes du quotidien ou la nature, arbres et ani- maux, lumières, textures et sons – et l’humain retrouve une place dans son environnement, fut-il changeant et incertain.
Installée à Marrakech, Bouchra Ouizguen cultive une forme d’expression chorégra- phique personnelle, singulière et inspirée, à l’écart des codes de la danse contemporaine occidentale. Elle collabore depuis plus d’une décennie avec des femmes à la présence charismatique et au chant puissant et envoûtant, qui se produisent dans les fêtes tra- ditionnelles. Artistes du peuple originaires du sud du Maroc, incarnant une part du patrimoine culturel du pays, elles portent en elles une forme de liberté joyeuse qui révèle par contraste les préjugés de genre, de culture ou de race de la société, et peut-être pas seulement au Maroc. En les invitant sur la scène de la danse contemporaine qu’elle a elle-même découverte en multipliant les collaborations (avec Mathilde Monnier ou Boris Charmatz par exemple), Bouchra Ouizguen ne fait pas seulement dialoguer passé et pré- sent, tradition et modernité. À travers le partage de leurs expériences de femmes et d’artistes, leurs connaissances de leur corps ou du mouvement, leur sens aigu de la mise en spectacle et du regard, la chorégraphe forme une alliance avec ces femmes pour mettre à l’épreuve la différence – mais sans violence, par la gaîté, la complicité et une attention généreuse à la dignité de l’humain.
Après plusieurs spectacles basés sur leurs propres expériences, Bouchra Ouizguen ouvre à présent sa troupe à l’environnement contemporain. Le groupe se tourne vers ce qui l’entoure et s’inspire de personnes rencontrées dans la rue ou le quotidien ainsi qu’aux oiseaux, lumières ou sons autour de lui. Au contact du groupe, et comme lui, le monde se révèle à la fois porteur de mé- moires ancestrales autant que vulnérables, et cette rencontre ouvre sur un temps suspendu qui ne craint plus ni son passé ni son avenir.