24 Bilder pro Sekunde (24 images par seconde)
Un espace entre un no man's land, un plateau de tournage et un white cube muséal abrite un quatuor de pianos et six danseurs·ses. Ils et elles échauffent leurs instruments, étirent leurs corps, se rencontrent, se perdent et disparaissent.
Tandis que la lumière vacillante d'une projection vidéo envahit la pièce, un rythme se développe lentement, un battement de cœur.
Dos aux interprètes, le quatuor (l’exceptionnel jeune Kukuruz Quartett de Zurich) joue sur des pianos qui semblent avoir eux-mêmes souffert. Résonne une musique prenante, permanente, répétitive, qui rythme le temps et sature l’espace. Elle semble parfois faite de réminiscences d’airs connus, ou parfois tient puissamment, tendrement, une scansion répétitive – celle, notamment, du Gay Guerilla du compositeur afro-américain Julius Eastman, chef-d’œuvre oublié de la musique minimale américaine dont les pianos éprouvés du Kukuruz Quartett révèlent la puissance et la tendresse.
Sur scène, toute action décisive semble comme repoussée, éloignée. Il ne se passe rien, ou plutôt l’inverse, le temps est plein de ses interstices, des langueurs, ses attentes. Observés par la vidéo, les ennuis, les chutes, les rencontres sans suite, les changements d’habits, les alanguissements, les sourires prennent un étrange sens, comme s’ils présumaient leur propre disparition, marques d’une fin annoncée – comme un film de famille et ses situations douces et ordinaires éveillent la mélancolie douce du temps qui passe. Voilà donc ce que nous sommes, semble dire, avec générosité et tendresse, ce spectacle inclassable. Boris Nikitin poursuit son théâtre de la vulnérabilité entre théâtre musical, danse et art vidéo, et regarde les corps faire face à l’épreuve du temps.